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Les vagabonds du Vieux-Palais - Par Jocelyn Jalette

Mais que fait donc ce sacré vieux Jules? Il aurait dû arriver depuis au moins une heure! Jules a pourtant quitté l’observatoire de la Montagne coupée en même temps que moi. Je veux bien croire qu’il n’a pas mon sens de l’orientation, mais Saint-Jean-de-Matha, ce n’est pas si loin de L’Assomption!


Nous étions tous chanceux que ce ciel du mois d’août ait été si parfait, si dépourvu de nuages. Que rêver de mieux en cette période des Perséides? C’était maintenant une tradition pour nous les « Vagabonds du ciel de Lanaudière » que d’organiser une nuit d’observation de cette fameuse pluie d’étoiles filantes! Cependant, cette année était particulière, car c’était l’an UN de notre nouvel observatoire céleste situé à la cime de la fameuse Montagne coupée de St-Jean-de-Matha. Il s’agissait d’une simple roulotte dont le toit possédait désormais deux parties coulissantes pour autant de télescopes. Comme il avait fallu en faire des soupers spaghettis pour enfin concrétiser notre vieux rêve au club d’astronomie!


Pour bien terminer cette inauguration, nous avions réservé une salle au vieux palais de justice de L’Assomption. Notre activité, en cette soirée des Perséides visait, bien sûr, à nous faire plaisir, nous les Vagabonds du ciel, mais aussi à parler aux néophytes de l’observation céleste. Au rez-de-chaussée du vieux palais, nous avions installé plusieurs tables d’informations ou de jeux. On y découvrait ainsi la voie lactée, l’histoire de l’exploration spatiale et, bien entendu, ce qu’était une pluie d’étoiles filantes!


Depuis une dizaine de minutes, j’étais monté à l’étage de cette bâtisse bicentenaire pour participer à un café-rencontre autour de nos observations personnelles. La magnifique salle où j’arrivai avais vu la justice se rendre entre 1857 et 1923. L’animateur de nos futures discussions s’amusa à prendre la place du juge, bien juché en haut pour observer toute l’assistance. Moi, j’avais plutôt choisi le banc de l’accusé!


Ainsi donc, j’étais là, attendant à la fois que la discussion commence et que Jules arrive. C’est alors que ce dernier se pointa enfin le bout de la moustache! Déjà qu’il avait une apparence bien à lui, habillé comme un mousquetaire d’Alexandre Dumas, avec son ample chemise blanche, ses cheveux châtains aux épaules et ses bas collants qui rejoignaient de courts pantalons qui s’arrêtaient en bas des genoux! À cet aspect original s’ajoutait cette fois un regard perdu. Lui qui avait normalement l’esprit clair et l’oeil vif! « Mais qu’as-tu fait, Jules? Es-tu passé par Trois-Rivières te prendre un café? » lui dis-je avec inquiétude. « Mais pourquoi dis-tu ça, David? » me répond-t-il sur un ton inhabituel dénué d’énergie.


D’ailleurs, vous avais-je dit que je m’appelais David et que j’étais ami avec Jules depuis nos enfances? Mon apparence, contrairement à la sienne, n’avait bien de rien original. Je m’habillais de bleu et de blanc aux couleurs du Québec, j’avais les cheveux courts, frisés et noirs. Ma peau foncée rappelait l’origine de mes ancêtres arrivés d’Haïti. Bref, on pouvait à peine nous différencier !


Mais tout ça n’a aucune importance. Je soulignai du tac au tac à Jules qu’il était deux heures du matin et que je l’attendais depuis plus d’une heure! Il n’en revenait pas et ne voulut pas me croire avant d’avoir lui-même constaté mes dires sur sa montre et à l’horloge placée au mur!

« Vous semblez avoir un trou dans votre temps, messieurs! » La personne qui venait d’intervenir à brûle-pourpoint dans notre dialogue était une charmante dame d’une quarantaine d’années à la chevelure rousse. Après une courte présentation mutuelle, nous apprenons que c’est une touriste française fortement intéressée par l’astronomie en général et plus spécifiquement par les phénomènes spatiaux d’ici… et d’ailleurs!


Effectivement, cette femme a la particularité de travailler au CNES, le Centre national d’études spatiales, et plus précisément à sa division nommée le GEIPAN. « Le GEIPAN? Ça mange quoi en hiver? » Ma question brute et typiquement québécoise fait sourire Bérénice. Elle nous précise alors que le GEIPAN est l’acronyme du Groupe d’études et d’information des phénomènes aériens non-identifiés. En résumé, l’agence spatiale française possédait un service actif et officiel pour étudier les OVNIS! Bérénice en était une enquêtrice depuis plusieurs années!

« J’ai l’impression qu’il se passe des choses étranges dans votre région! » ajoute-t-elle sur un ton fort sérieux. Elle poursuit en disant : « Le hasard m’avait fait entendre à la radio la publicité de votre activité pour les perséides. Comme elle était accompagnée de la chanson Les étoiles filantes des Cowboys fringants dont je suis membre du groupe de fans européens Les cousins fringants, j’avais été tout de suite attirée! J’étais alors sur la nationale 40 que vous nommez l’autoroute Félix-Leclerc tout près de L’Assomption. Peu après cette écoute, je me fais éblouir par une voiture qui me suit. Nous étions déjà la nuit. Du moins avais-je cru qu’il s’agissait d’une automobile!

Alors que les phares me talonnaient de trop près, les lumières me dépassèrent… par la droite! Cet empiétement sur l’accotement me paraissait fort dangereux jusqu’à ce que ces mêmes phares décident de continuer leur chemin vers les airs! L’objet lumineux disparut alors rapidement de ma vue! Et tout cela sans le moindre bruit!

Avais-je rêvé? Était-ce un hélicoptère? Ça me paraissait improbable que je ne l’aie pas entendu et qu’il reste si près du sol. L’autre possibilité, sans doute plus raisonnable, était celui d’un drone. Un petit malin s’amuserait-il ainsi à effrayer les conducteurs? »


Malgré ma surprise, je pris le relais de Bérénice pour partager à mon tour ma curieuse observation de la soirée. « Alors que j’observais les astres habituels au travers du télescope à la montagne coupée, comme Vénus ou Saturne, un objet lumineux capta mon attention. Tandis que je cherchais des étoiles filantes je remarquai un objet qui… se mit à ralentir en plus de changer soudainement de direction! J’ai tenté de le voir à l’oeil nu et même demandé à un autre vagabond de confirmer mon impression, rien n’y fit, pas un autre ne fut témoin! »


Nos trois expériences étaient troublantes. Assistions-nous à une vague d’ovnis? Jules pouvait-il avoir été victime d’un enlèvement extra-terrestre? C’est alors que par réflexe, il se recula, sans doute craintif que l’on veuille le mettre à nu et le fouiller pour rechercher des traces d’expérimentations sur son corps!


À ce moment où la tension grimpait un peu trop, Bérénice prit l’initiative de calmer nos esprits qui s’échauffaient! Son tempérament d’enquêteuse expérimentée du GEIPAN prit rapidement le dessus. Elle nous incita à mettre de côté nos impressions et de nous en tenir aux faits. Premièrement, nous avons questionné la plupart des vagabonds présents au vieux palais pour essayer de recueillir d’autres témoignages de faits étranges qui auraient pu corroborer les nôtres. Ce fut malheureusement décevant et nous décidons plutôt de retourner demain sur les lieux de nos mystérieuses péripéties! La lumière du jour, espérait-on, nous apporterait peut-être de nouveaux indices, ou, encore mieux, des preuves!


Après avoir passé sur l’autoroute, à la hauteur de L’Assomption où Bérénice fut suivie quelques instants, nous avons refait en sens inverse l’itinéraire supposé de Jules. Arrivés finalement de nouveau à la montagne coupée, il nous fallut bien reconnaître que nous avions fait chou-blanc! Pas une poussière d’indice n’avait été trouvé. La seule chose qui nous troublait fut cette sensation lancinante de se sentir observés! C’est à ce moment que l’on entendit une branche craquer en provenance de la forêt qui nous entourait. On vit soudainement une ombre s’enfuir à travers les arbres. Personne n’avait pu identifier la créature, mais était-ce seulement au moins un animal? Ou alors…