La grand-mère, la jeune fille et l’oiseau - Par Marie-Soleil Roy
À mes grands-mères
À vos chemins tracés, pour moi, vers la bonté et les beautés du monde.
À vos jeunesses éternelles.
À vos mains qui caressent toujours mon visage.
À vos parfums qui embaument mes journées de tristesse.
Aux oiseaux du paradis
À ma naissance, au premier regard, ma grand-mère sut que je serais une contemplative.
Je possède le don d’observer. C’est rare pour une enfant, il paraît. Je peux passer des heures à regarder chaque détail d’un arbre et en être éblouie. J’aime passer mon regard sur les branches, les feuilles et les nervures. Je dessine les arbres. Je suis une artiste. Appuyée à leur corps, je passe mon temps à observer les nuages, à imaginer des visages, des vies naître de leur forme. Je sais aussi écouter le chant des oiseaux, sentir le vent caresser ma peau. J’adore danser sous la pluie, j’embrasse ainsi toute la nature de mes sens. Un jour je serai vieille. Je resterai assise là, à juste contempler.
Le banc du parc nous accueille. Blottie dans ses bras de bois, ma grand-mère et moi papotons. Nos paroles inventent des recettes de bonheur. J’aime me réfugier là au calme. Nous observons la beauté et les richesses du monde, elle et moi.
Dans le cou de ma mama scintille un cœur en or, cela représente notre cœur, dit-elle. Elle sent l’air du temps. Son parfum est doux comme la brume du matin sur notre lac. Bercée par cette odeur sucrée de lilas et de forêt, elle me parle de la vie, de la nature et surtout de l’importance de cueillir les instants. Je le sais, je suis une cueilleuse d’instants, je cueille la neige et j’en crée des sculptures splendides, je cueille les têtes de violons fraichement sorties du sol humide pour cuisiner des plats divins, des fraises aussi…des fleurs, de nombreux bouquets de fleurs, pour elle, que j’aime tant. À l’automne, dans mon cahier de mille mots, je collectionne les feuilles multicolores.
Les quêtes de mes journées se résument à chercher le caillou, l’insecte ou le morceau de bois qui enchanteront nos imaginaires. Toujours ma précieuse Marguerite sourit et semble comblée par mes trouvailles. Parfois, nous peignons des tableaux reflétant les couleurs des berges qui nous accueillent. Parfois, patientes, nous attendons la prise, nous pêchons des poissons. Parfois, ma grand-mère me montre à fabriquer des nids. Elle m’explique même que les femmes en fabriquent naturellement, tous les mois de leur vie, mais ça c’est pour un autre conte.
Le plus souvent, elle me parle de son oiseau et du jour où elle ira le rejoindre.
Il était une fois, un oiseau passionné par la beauté. Tous les ans, il revenait au bord de son lac afin d’y construire son nid. Le grand héron de l’histoire de ma grand-mère était fasciné par la lumière. Si bien que le vol de sa migration était une quête aux trésors afin de recueillir les objets lumineux qui décoreraient son nid. D’année en année, son petit coin caché fut de plus en plus visible. Un spectacle majestueux émanait maintenant de cet endroit.
Un jour, en pleine admiration de son nid œuvre d’art, le grand héron aperçut une enfant au pied de l’arbre où il nichait. C’était la première fois qu’il côtoyait une humaine de si près. Il l’approcha d’un air intrigué.
-Que fais-tu ici seule dans la forêt?
-J’ai vu briller votre nid.
-Pourtant il était bien caché.
-J’aime observer la nature. J’y cherche des trésors. J’ai vu briller. Ça m’a intriguée. C’est beau.
-Tu trouves ?
-Oui de toute ma vie je n’ai jamais vu de scène aussi éblouissante.
L’oiseau l’accueillit chez lui, il se sentait respecté. Il lui apprit à pêcher, à voler et à construire un nid. Il lui partagea même un secret.
Ce soir-là, ma grand-mère a dormi dans le nid de l’oiseau.
À son réveil, il avait disparu. Elle ne l’a jamais revu.
Marguerite aimait me raconter cette histoire. Elle avait tout appris de cet oiseau. Sans cesse, je voulais connaître son mystère. Le jour de mon douzième anniversaire, le moment de son départ était arrivé.
Il lui restait une leçon à m’enseigner : voler.
Elle me dévoila le secret de l’oiseau. Un jour ma mama deviendrait comme lui.
Ce n’était pas triste. Elle reviendrait.
Depuis ma venue au monde, tous les jours jusqu’à mon douzième anniversaire sur le banc du parc aménagé aux abords de mon Lac, elle me berçait et me racontait des histoires.
Des années plus tard, c’est mon tour, je suis devenue la raconteuse d’histoires. Je suis une artiste. Mes petits-enfants me disent que je sens l’eau d’érable en plus de l’air du temps lorsque je les balance. Je leur raconte, à mon tour, une histoire d’oiseau. Ma version.
Il était une fois, une petite fille qui établit son campement sur la berge du magnifique lac Pierre à St-Alphonse de Rodriguez. Tous les étés, elle venait y construire un magnifique et immense nid, elle y vivait. Comme lui avait appris sa grand-mère, elle recueillait des brindilles séchées, de la paille, de la terre, de la boue, de l’herbe, mais aussi des fleurs, de la poussière d’étoile, de la mousse de roche vert tendre, du duvet, du poil d’ours, de loup, de loutre, de renard… afin de confectionner un lit douillet.
Sereine, souriante, elle souhaitait le retour de sa mama. Elle attendait son cœur, disait-on. On tenta de la dissuader. On la traita de folle. On allait même jusqu’à détruire ses efforts. Elle persista pendant des années. Les maisons d’oiseaux qu’elle érigea étaient toujours de plus en plus majestueuses et lumineuses. On dit même qu’on pouvait apercevoir leur beauté à des lieux de distance. Elle ne perdit jamais espoir, elle continua d’enseigner la contemplation ou la cueillette d’instants à ses enfants et ses petits-enfants. Dans son histoire, à elle, quand fut venu son temps de partir, elle trouva des plumes et un petit cœur en or camouflés, là, dans les brindilles du nid savamment assemblé.
Elle sut alors qu’il était temps pour elle de s’envoler…
Nous sommes deux, trois, mille à tournoyer dans l’espace. Nos petits cœurs en or brillants autour du cou. Nous sommes les grands-mères bienveillantes espérant que nos enfants, nos petits-enfants racontent nos histoires et sachent apprécier la nature afin d’apercevoir dans le ciel nos grandes ailes se déployant pour eux. Espérant voir nos petits danser sous la pluie et embrasser ainsi toute la nature de leur sens.