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Billet no.1

Antoine Turmine
Anne-Marie Baribeau
Je me nomme Antoine Turmine, je suis un artiste en danse. Pour ce premier billet, j’ai envie de vous parler de ma pratique de la danse et de l'aspect transformateur que permet la « pratique » artistique. Non seulement puisque c’est ma discipline mère, mais parce que, comme plusieurs disciplines, elle se transforme et se (re)définit par les artistes qui la pratique. C’est-à-dire qu’à travers un même style de danse, les codes peuvent changer et, par conséquent, bousculer nos attentes; voire repousser les limites que nous avons associées à cette forme. Et cette diversité est essentielle ! Car plus je m’ouvre à ces façons de pratiquer et de « voir » la danse, plus j’acquiers « différentes lunettes » qui me permettent d’aborder les œuvres sous des angles différents. Je m’invite alors à voir la danse hors de mes habitudes : j’apprécie et je (re)joue finalement le jeu de la rencontre. Je me (re)découvre à travers l’autre; par mes filtres et/ou par mes références sur la danse. Et la récurrence des activités (spectacles, répétitions, ateliers, cours, etc.) vient étirer cet échange que j’ai avec moi-même en ajoutant toujours plus d’épaisseur à ma pratique. Bref, ma pratique, inévitablement, change. Se transforme. Je passe du gigueur au sourire contagieux; au dos droit qui exécute des séquences percussives à 120 bpm; à l’artiste qui remet en question un regard à droite; qui se permet des arrêts; qui s’arrondit; se laisse chuter au sol. Je deviens un artiste qui questionne sa pratique. Un artiste qui interroge son rôle dans la société.

En fait, je m’autorise des choix que l’on m’a fait réaliser possibles.

Et pourtant, il faut savoir lâcher prise; faire la distinction entre l’œuvre et nous; reconnaître la valeur de l’éphémère. Car il est en effet impossible d’avoir deux fois la même expérience en arts vivants. Non seulement la performance et l’état des danseurs restent toujours un peu fragiles, mais ma réception comme spectateur change et est toujours teintée parce que j’aurai précédemment vécu… On comprend ainsi pourquoi le souvenir de la performance et ses effets rendent cette idée d’art éphémère beaucoup plus complexe. À la différence peut-être que la danse fait partie des expériences qui offrent un terrain commun que l’on partage avec l’autre. Si vous avez déjà assisté à une représentation, vous avez sans doute pris part à ces moments où dans le flottement de la fin d’une performance, toutes et tous se retrouvent dans un silence « chargé ». J’aime d’ailleurs particulièrement ce moment qui précède ce réveil d’applaudissements. Je me souviens de grands spectacles où ce silence s’étirait presque indéfiniment : nous sentions ensemble ce désir de le maintenir vivant puisque justement, nous savions que cette expérience était unique, partagée et éphémère. Nous souhaitions habiter ce territoire qui nous avait été présenté : que nous avions embrassé et imaginé toutes et tous ensemble. Les discussions et/ou réflexions qui s’ensuivent sont d’ailleurs souvent trépidantes et elles étirent elles aussi la rencontre avec l’œuvre hors de sa durée. Et c’est d’ailleurs pourquoi il arrive si souvent que l’œuvre se révèle beaucoup plus tard : notre regard change et nous réalisons tout un pan de l’œuvre que nous n’avions pas perçu. C’est ce jeu qui me fait apprécier ce côté « éphémère » de la danse. Celui qui s’opère dans le souvenir de l’œuvre, du mouvement, de la sensation puisqu’il y a toujours cette peur de perdre l’expérience. Il y a un jeu avec la mémoire que la danse nous invite à visiter. Comme la musique, elle nous invite à savourer le jeu du temps, mais dans un travail peut-être plus subtil puisqu’elle pénètre à même la chair. La danse, comme toute expérience, est, par nature, transformatrice ! Ainsi, la prochaine fois que vous verrez de la danse, soyez curieux : plongez et faites confiance au pouvoir de l’œuvre et à l’œuvre du temps. Antoine Turmine Danse traditionnelle Québec