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Esclavage et résistance au Québec

Légende: lancement médiatique de l'exposition Fugitifs! au Musée National des Beaux-Arts du Québec.

Il est surprenant que les gens s’étonnent encore que l’esclavage ait bel et bien existé au Québec et au Canada. Contrairement à ce que bien des historiens ont relayé à travers les époques, la vallée du Saint-Laurent n’a pas échappé à cette pratique qui accompagna la colonisation européenne partout dans les Amériques.

Légende photo: illustration de ValMo, Le grain de sable. Olivier Le Jeune, premier esclave au Canada. Septentrion. 2019

L’historien Marcel Trudel a répertorié 4185 esclaves dans l’histoire du Québec, de l’arrivée d’Olivier Le Jeune à Québec en 1629 jusqu’à l’abolition officielle de l’esclavage dans l’Empire britannique le 1er août 1834. Toutefois, ce nombre n’est pas exact. Entre autres parce que Trudel croyait que toute personne afro-descendante dans le passé était esclave et aussi parce que cette pratique a disparu au Québec une trentaine d’années avant son abolition officielle dans l’Empire britannique. Une autre raison de cette inexactitude provient du fait que ce ne sont pas toutes les personnes asservies qui ont laissé des traces dans les archives. Ainsi, ce nombre de 4185 sert surtout à visualiser cette présence dans le contexte d’un monde atlantique ayant absorbé entre 12 et 13 millions d’âmes africaines en près de 400 ans.

Légende photo: illustration de ValMo, Le grain de sable. Olivier Le Jeune, premier esclave au Canada. Septentrion. 2019

Esclavage de nature domestique

L’esclavage au Québec était de nature domestique, comparé à l’esclavage économique de plantation que l’on retrouve, par exemple, au sud des États-Unis, au Brésil ou dans les Antilles. La raison qui explique cette différence n’est pas une quelconque supériorité morale, mais bien le climat. Les rudes hivers ne permettaient pas les plantations de sucre, de coton, de café ou de cacao; ainsi l’économie de la Nouvelle-France ne s’articulait principalement qu’autour de la traite des fourrures et de la pêche et n’était ainsi pas basée sur les grandes exploitations agricoles. Dès les années 1680, le gouverneur général Brisay de Denonville demanda au roi de France Louis XIV d’accorder à la colonie le droit d’avoir des esclaves, ce qui fut fait. Toutefois, les circonstances politiques de l’époque, la distance et le climat ont fait qu’aucun bateau négrier n’a déversé sa cargaison dans la vallée du Saint-Laurent directement. Les résidents purent tout de même acquérir des esclaves noirs en les achetant sur place ou en les commandant dans les Treize colonies, en Louisiane et dans les Antilles. Plusieurs d’entre eux arrivèrent dans la deuxième moitié du 18e siècle avec les Loyalistes quittant la république naissante que devinrent les États-Unis.

Légende photo: illustration de Dimani M. Cassendo, brochure de l'UNESCO "Esclavage au Canada" 2020

Esclaves noirs et autochtones

Des 4185 esclaves répertoriés, le tiers était des esclaves Noirs, soit 1443, et le 2/3 des esclaves autochtones ou 2683 personnes. Ces membres des Premières Nations étaient appelés panis. Une grande partie d’entre eux venaient de la région des Grands Lacs et de ce qui constitue aujourd’hui le Midwest américain. Quelle que fût la nation d’un esclave autochtone, il était généralement désigné en tant que panis. Ce mot était une corruption du terme Pawnee, une nation auprès de laquelle des esclaves avaient été capturés ou achetés à une certaine époque. Avec le temps, ce terme devint générique pour désigner les membres des Premières Nations asservis.

Vente des esclaves dans les journaux

Il n’y avait pas de marchés dédiés à la vente d’esclaves au Québec, mais n’empêche que plusieurs esclaves furent vendus au marché ou à l’encan. À partir du régime anglais et de l’arrivée de la presse écrite avec la fondation de la Gazette de Québec par William Brown en 1764, les esclaves à vendre étaient désormais annoncés dans les journaux. Les esclaves fugitifs aussi.

Légende: La Gazette de Québec, le 22 mai 1794.

À défaut d’avoir des portraits des esclaves de l’époque, les avis de recherche publiés entre 1767 et 1798 deviennent les documents les plus précis que nous possédions quant à l’apparence de ces hommes et ces femmes déshumanisés par l’esclavage. Puisque l’objectif de ces annonces était de retrouver ces fugitifs, les propriétaires les décrivaient de manière très précise, que ça soit leur habillement, leur physionomie ou certains traits caractéristiques comme la chevelure, la langue parlée, leur métissage ou l’état de grossesse. Ces annonces nous indiquent aussi différentes stratégies mises en oeuvre par ces personnes afin de gagner leur liberté. Une mise en garde suivait souvent ces avis de recherche afin de décourager les gens ou les capitaines de navires de leur prêter main-forte.

Une expo pour réhumaniser des personnes invisibilisées

Légende: l'exposition Fugitifs! au Musée National des Beaux-Arts du Québec.

Cette exposition nous permet de visualiser des personnes afro-descendantes vivant au Québec dans la deuxième moitié du 18e siècle à partir de leur description précise. Elle a pour objectif de redonner une dimension humaine à des gens qui ont été traités comme des biens meubles en étant vendu, achetés, donnés, légués, loués ou échangés.

La fuite comme acte de résistance

Contrairement au reste des Amériques où la population esclave était beaucoup plus nombreuse, la résistance à cette pratique au Québec ne pouvait que s’articuler autour de la fuite. Il n’y avait pas assez de gens afin de fomenter des rébellions armées comme ce fut le cas partout ailleurs sur le continent. Ainsi, la fuite des esclaves du Québec et du Canada est un symbole fort d’agentivité et de refus de cette condition servile; ils et elles résistèrent à la hauteur des moyens qu’ils possédaient dans le cadre de cette faible démographie. La fuite de ces esclaves doit être vue comme un acte de résistance. Il y a très peu d’information concernant ces gens qui, étant des biens meubles, n’étaient nullement considérés dans l’échelle sociale. De plus, puisque l’objectif de la fuite était de ne pas être repris, il est encore plus compliqué, deux cents ans plus tard, de retrouver ces personnes. Plusieurs hypothèses doivent être émises afin de mieux les comprendre. Même si la nature domestique de l’esclavage dans la vallée du St-Laurent différait du reste du monde atlantique et de ses plantations, il est important d’établir des parallèles car le Québec faisait partie lui aussi de cet univers colonial.

Du chemin à faire pour représenter les esclaves autochtones

Vu la grande présence d’esclaves autochtones au Québec (2 pour 1 vis-à-vis des personnes Afro-descendantes), on pourrait s’étonner de leur grande absence de cette exposition. Toutefois, l’asservissement des membres des Premières Nations eut surtout lieu à l’époque de la Nouvelle-France et, puisque ce projet est basé sur les annonces publiées dans les journaux sous le régime anglais, ils y sont moins présents. Par ailleurs, cette exposition concerne la présence afro-descendante dans le passé québécois et leur résistance à l’esclavage. Bien sûr, un grand travail de recherche reste à faire afin d’y inclure les personnes autochtones.

Des chiffres peu représentatifs

En tout, à partir de l’apparition de la presse écrite au Québec, 43 annonces de vente ont été publiées concernant des personnes afro-descendantes et 51 de fuites. Néanmoins, ce ne sont pas toutes les ventes qui étaient annoncées dans les journaux et les désertions non plus. Les chiffres, dans les deux cas, sont nécessairement plus élevés, d’autant plus que l’époque de la Nouvelle-France n’y est pas incluse. Les informations contenues dans cette exposition sont tirées, entre autres sources, du Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires au Canada français de Marcel Trudel et de «Done with slavery» de Frank Mackey (L’esclavage et les Noirs à Montréal en version française).

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